Sexualité et répression, par Emile Copfermann

Introduction à la revue partisans n°32-33 "sexualité et répression", Ed. François Maspero, 1966.
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(NDLR : les passages en gras sont soulignés par nous.)

La libération de nos moeurs sexuelles fait écho à un autre mythe largement répandu, celui de la civilisation du loisir. Mais curieusement, alors que la marche vers la seconde constituerait en quelque sorte la promesse de notre émancipation, la simple amorce d'un assouplissement des règles concernant la premiere annoncerait l'effondrement de toutes les valeurs de la société en place.

Des enquêtes ont rapporté la surface de faits réels, épiphénomène beatnik, exhibitionnisme corporel, provocation vestimentaire des adolescents. A s'en tenir à eux, Babylone menacerait et — parenthèse, il serait intéressant de tenter un parallèle historique, de voir à quelles périodes renvoient l'opposition de la vraie virilité à une féminisation des hommes — la « jeunesse » serait en quelque sorte le lieu d'une espèce de contre-société.

Une connaissance, aussi limitée soit-elle, des adolescents de tous les milieux sociaux dément ces idées reçues. On trouve une proportion à peu près égale de conformisme, de passivité, chez les jeunes que chez les adultes, même si leur comportement extérieur proclame le contraire. C'est que la répression, très tôt intériorisée, n'a plus besoin de prendre des formes visibles : le modelage des esprits, le modelage des corps, à mesure qu'ils se font plus subtils, semblent aller de concert avec la proclamation extérieure de l'autonomie. Brisée dès l'école, l'individualité est soumise à partir de l'enfance à l'ordre social.

Ce numéro de Partisans ne prétend pas régler toute la question abordée. Il veut tout de même réintroduire des critères trop souvent — toujours ? — oubliés dès qu'on évoque la répression sexuelle. Une étude de la morale ne saisit pas son contenu. Elle aboutit toujours à fustiger des forces conservatrices, certes. Pas plus qu'on explique l'éclatement de la famille par l'évolution des mœurs des pays industriellement très développés, mais bien plutôt par l'entrée des femmes dans l'appareil de production, donc par l'amenuisement du rôle économique prépondérant des hommes nous ne saurions nous suffire de ce type d'explication. Il nous a donc semblé nécessaire de montrer l'importance fondamentale du vieux débat, liberté ou répression, dans la perspective de cette société égalitaire et libertaire que nous souhaitons voir naître un jour.

Herbert Marcuse analyse la théorie centrale de Freud, son vieillissement, sa jeunesse. Il pose, à travers elle, une critique de la société établie et la naissance d'une véritable culture, au sens large du mot, dans la disparition de ses répressions. De cela doute un autre sociologue américain, Erich Fromm. Pour lui, il ne saurait y avoir de civilisation sans répression : on ne peut réduire l'amour seulement à des pulsions sexuelles. Étudier l'amour, comme il le fait, ce n'est pas établir un compromis avec la société capitaliste, mais au contraire montrer en quoi les sentiments sont contingentés par l'Ordre établi. Huxley a, caricaturalement il est vrai, grossi les risques du gauchisme instinctiviste, mais le tout tout de suite inculqué aux adolescents du Meilleur des Mondes aboutit à tuer la culture.

Deux jeunes professeurs tentent ensuite d'actualiser ce débat. Pour le premier, Thomas Münzer, l'idée d'une libération sexuelle des jeunes, dans le cadre d'une société de répression, aboutit à rejoindre ce qu'il nomme, après Marcuse, le révisionnisme freudien. La répression sexuelle s'établit dès la petite-enfance, dans la transformation du corps, instrument de plaisir, en instrument de travail. Mais, répond Jean-Marie Brohm, il existe des moyens d'élargir la lutte contre la répression sexuelle qui frappe d'abord les jeunes : en ouvrant, à travers elle, un procès global de la société capitaliste aliénante.

Dans la troisième partie, nous avons voulu renvoyer le lecteur à des faits concrets. Des jeunes rapportent ce qu'ils ressentent : en sont-ils déjà au point où ils ne désirent plus que ce qu'ils savent pouvoir obtenir ? Sous un angle plus thérapeutique, Henri Fabre, auteur du livre-pionnier La maternité consciente, l'un des fondateurs, avec Georges Pascal, du Mouvement Français pour le Planning Familial, souligne les caractéristiques foncièrement réactionnaires du système législatif français en matière de contraception.

Il nous a semblé important de rappeler les tentatives audacieuses de l'Octobre russe. Le texte de Riazanov prend place dans la réforme sexuelle soviétique, mais en liant son propos à une critique marxiste du mariage. Ce que fait également, plus tard, le méconnu Wilhelm Reich qui souligne les aspects économiques de la monogamie. L'étude que nous publions, rédigée par Boris Fraenkel, spécialiste de Reich, apporte pour la première fois une synthèse sur une œuvre pratiquement impubliée en France. Elle fait ressortir, avec quelques extraits d'articles, des insuffisances, des lacunes. Mais cette œuvre tentait très tôt ce que trente ans plus tard on s'efforce d'entrevoir, un enrichissement réciproque du marxisme et de la psychanalyse, sans que, de Freud ou de Marx, les idées soient émasculées.

Emile COPFERMANN.

© François Maspero.

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