L'Europe (néo-)fasciste est en marche

"Le vieux fascisme, si actuel et si puissant qu'il soit dans beaucoup de pays, n'est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d'autres fascismes. tout un néofascisme s'installe par rapport auquel l'ancien fascisme fait figure de folklore. Au lieu d'être une politique et une économie de guerre, le néofascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d'une "paix" non moins terrible."
Gilles Deleuze dans Deux régimes de fous, Ed. de minuit, Paris, 2003.

Sommaire

  1. D'un point de vue politique
    1. Technologie totalitaire, contrôle et répression
    2. La "démocratie" bafouée sans complexe
    3. Le pouvoir réel échappe au peuple et à ses "représentants"
    4. La convergence des politiques de gestion des populations
    5. L'échec des militants antifascistes : la question sexuelle
    6. La solidarité : caritatisme ou militantisme ?
    7. Une configuration favorable à l'irrationnel
  2. D'un point de vue anthropologique
    1. Est-il encore possible de construire une culture, une histoire ?
      • La "fin des idéologies", des utopies, de l'histoire ?
      • La novlangue, fin de la pensée
      • L'anti-intellectualisme marque du populisme
      • La communication virtuelle
      • Sans corps, pas de pensée
    2. Le corps : refaire la nature ? Entre rejet et perfectionnement de la matière vivante
  3. Conclusion

1. D'un point de vue politique

1.1. Technologie totalitaire, contrôle et répression

Au cours des dernières années, les partis d'extrême droite ont pris du poil de la bête dans toute l'Europe, à l'Ouest comme à l'Est (de même que les religieux fondamentalistes de toutes obédiences). On assiste ainsi dans plusieurs pays (Hongrie, Bulgarie...) à la constitution de milices néo-nazies sous l'oeil passif des autorités. De plus les idées de l'extrême droite sont récupérées et mises en application par les partis de la droite "classique" néo-libérale.

Cf. en France le rapport (printemps 2007) de la Ligue des Droits de l'Homme mettant en évidence l'application partielle du programme du Front National par le Ministre de l'Intérieur appartenant à la majorité gouvernementale du parti UMP, devenu depuis président de la République.

L'idéologie dominante vire de plus en plus au totalitarisme sous couvert de consensus médiatique. Cette évolution, marquée de l'adoption de toute une série de lois "sécuritaires" date du milieu des années 1990. Ceci est le fait aussi bien des gouvernements de droite (plus rapides) que des gouvernements socialistes (avec l'avantage que cela suscite moins d'opposition à gauche).
La répression policière des mouvements alternatifs se durcit, les lieux de contre-culture sont éliminés.

Par exemple l'expulsion quasi-militaire d'un centre de culture populaire (La maison des jeunes - Ungdomshuset) et les rafles massives qui ont suivi, au Danemark, en mars 2007. "Dans un climat d'intolérance qui s'alourdit, l'Etat a considéré qu'il était possible de combattre par la répression les valeurs de la contre-culture solidaire et anticonsommation de l'Ungdomshuset. [...] l'attitude des autorités danoises doit être perçue comme une "expérience de laboratoire" en matière de répression policière, propre à un système qui pressent qu'il va en avoir de plus en plus besoin." (René Vazquez Diaz, Répression pour l'exemple à Copenhague, Le Monde Diplomatique de Avril 2007, page 3).

"Après ce que j'ai vu en Espagne j'en suis venu à la conclusion qu'il est vain de vouloir être antifasciste tout en essayant de préserver le capitalisme. Le fascisme, après-tout, n'est qu'un développement du capitalisme, et la démocratie la plus libérale - comme on dit - est prête à tourner au fascisme à la première difficulté."
George Orwell, in Hommage à la Catalogne.

Il suffit de se documenter sur le salon de l'armement pour se rendre compte que les nouvelles armes développées concernent pour l'essentiel le contrôle des foules (drones, gaz incapacitants...). Du reste les nouvelles doctrines militaires se focalisent sur la guerilla urbaine. On assiste parallèlement à un développement exponentiel des sociétés privées de "protection".

L'architecture urbaine* est elle-même déterminée par des impératifs de "sécurité" : les ensembles conçus pour les banlieues prévoient des voies d'accès rapides au coeur de la cité pour les véhicules blindés, des aménagement urbains sont conçus pour canaliser et bloquer les foules, comme par exemple de part d'autre de la place de l'Hotêl de Ville à Paris. Voir le film documentaire film Pas lieu d'être de Philippe Lignière, France, 2003.

*Le concept d'architecture de sécurité n'est pas nouveau. On se souvient que le baron Haussman avait en son temps fait percer de grandes perspectives dans les faubourgs parisiens pour permettre à l'armée de déployer ses canons contre les "émeutiers".

La lutte contre le "terrorisme" (ou contre la "pédophilie") est un prétexte tout trouvé pour permettre la mise en place de législations répressives, restreignant de plus en plus les libertés sociales et individuelles, et développer des systèmes de contrôles de plus en plus totalisants. Elle sert d'alibi à ceux qui veulent anéantir la résistance intérieure au totalitarisme capitaliste.
Les nouvelles technologies, aux mains de technocrates irresponsables, deviennent des outils de contrôles totalitaires : nanotechnologies avec leurs applications policières et militaires, vidéosurveillance en développement exponentiel, carte d'identité infalsifiable et interrogeable à distance (INED), utilisation de la biométrie, fichiers informatiques interconnectés contenant les empreintes génétiques (ADN) d'une part croissante de la population (une simple menace de dégradation suffit pour se retrouver dans ce fichier, au départ prétendument réservé aux seuls crimes sexuels) ou encore répertoriant les dossiers de la totalités des enfants d'age scolaire (dans le but délirant de prévenir précocement la délinquance en se basant sur des données individuelles), et aujourd'hui des dispositifs de censure et de surveillance du réseau Internet encore jamais vus...
Jamais dans l'histoire aucune société n'a disposé d'un tel pouvoir de contrôle des populations.

Plus d'informations sur l'arsenal totalitaire en suivant les liens vers les associations de défense des droits de l'homme.

1.2. La "démocratie" bafouée sans complexe

La démocratie, étymologiquement : "le pouvoir du peuple", n'est une réalité dans quasiment aucun pays. Dans le monde contemporain c'est l'argent qui donne le pouvoir (oligarchie). Mais les pays qui se prétendent démocratiques entendent en général sauver les apparences de celle-ci (le jeu électoral).
S'il est vrai que les partis politiques peuvent alterner au pouvoir, c'est en fait toujours la même politique qui est menée (le néo-libéralisme) puisque les vrais détenteurs du pouvoir, eux ne changent pas. En France les partis de gouvernement de droite comme de gauche ont tous depuis longtemps fait le choix de soutenir le capitalisme (c'est même au parti socialiste, sous la présidence de Mitterand, que l'on doit le tournant décisif du néo-libéralisme, en 1983).

Or il s'est produit un fait imprévu : malgré toute la propagande médiatique, en 2005, les électeurs français (et de quelques autres pays) ont rejeté par référendum le traité européen, qui prévoyait d'inscrire dans la constitution européenne la politique économique néo-libérale. Et bien aujourd'hui (2008), ce traité est tout simplement remis en selle (sous l'appelation trompeuse de "traité simplifié") au mépris de la décision populaire. Cela montre que le pouvoir est tellement sur de lui qu'il ne prend même plus la peine de sauvegarder les apparences de la démocratie.
Voir le site www.traite-simplifie.org

1.3. Le pouvoir réel échappe au peuple et à ses "représentants"

Le pouvoir réel échappe de plus en plus aux états, auxquels la politique néo-libérale de privatisation des services publics ne réserve en dernier ressort que les fonctions régaliennes : justice, police, armée.

La classe politique est devenue tributaire des grands groupes capitalistes qui, en s'emparant des médias de masse, deviennent des donneurs d'ordre incontournables : il faut passer par leurs fourches caudines pour avoir une chance d'accèder à un mandat électoral. En effet dans nos démocraties de pure forme, ce sont les outils du marketing (et les sommes qui y sont investies) qui décident des victoires électorales. Ceci explique qu'aucun gouvernement n'a jamais osé déposer un projet de loi antitrust qui empêcherait en particulier les entreprises qui bénéficient de commandes publiques de pouvoir posséder des médias de masse. Cornélius Castoriadis à qualifié le régime politique actuel d'"oligarchie libérale".
Les médias de masse jouent un rôle clé dans la soumission (in-)volontaire de la population, à la fois en désinformant et en occupant les esprits. Voir le site Acrimed.

Affiche de mai 68

dessin de Siné , 1968
De plus la plupart des syndicats, loin de jouer leur rôle de contre-pouvoir, sont en réalité devenu des outils d'intégration des travailleurs au système qui les exploite. Les syndicats (au moins leurs états majors) ont toujours tenté de récupérer les mouvements spontanés des travailleurs (ou étudiants) et s'ils n'y parviennent pas ils font tout pour les briser.
On l'a vue ainsi à l'oeuvre en mai 68 ou dans le conflit Lip (1973) mais aussi plus récemment lors des manifestations contre le Contrat première embauche (CPE) en 2006.

Dans l'histoire de la société industrialisée, l'organisation des travailleurs - qui seule leur permet de faire valoir leurs intérêts face au patronat et aux gouvernements, a d'abord été empéchée par tous les moyens. Mais lorsque les pouvoirs on du concéder le droit des travailleurs à s'organiser (création des syndicats), ils se sont progressivement arrangés pour que ces syndicats deviennent inoffensifs.
La structure hiérarchisée de ces derniers, le fait que les représentants y fassent carrière, gravissant les échelons du pouvoir, fait qu'ils deviennent des institutions*. Les institutions ont toujours pour premier objectif de maintenir et si possible accroître leur position de pouvoir et non de servir les intérêts de ceux qu'elles sont sensées défendre. De plus il se créé, en particulier au sein des organismes cogérés, des connivences entre les "élites" syndicales et les politiciens et capitalistes. Les pouvoirs en place, reconnaissent les syndicats "représentatifs" comme seuls interlocuteurs valables : ceux-ci font écran entre le pouvoir et les travailleurs. En cas de conflit, une fois signé les accords qui arrangent à la fois le pouvoir et ces syndicats, l'usage de la force devient "légitime" pour réprimer les travailleurs. La fonction des syndicats est de faire en sorte qu'aucune revendication radicale - ni même simplement trop génante - ne voit le jour. C'est pourquoi les syndicats ne relaient en général que de simples revendications de salaires ou de conditions de travail.
Heureusement beaucoup de travailleurs se sont souvent rendu compte du rôle joué par les syndicats et ont créé, au fil des conflits, des coordinations ou collectifs ad-hoc, auto-organisés par la base. Toutefois ces organisations spontanées restent d'une utilité limitée si elles ne perdurent pas au delà des conflits ponctuels.

*Le mouvement anarcho-syndicaliste est organisé sur les principes différents qui empèchent le carriérisme de délégués révocablesà tout moment. De plus ces organisations ne participent pas à la cogestion du capitalisme.

Les réels centres de pouvoir sont les conseils d'administration des transnationales, aux mains de leurs principaux actionnaires. Les sommes colossales qui transitent sur les comptes des organismes de compensation bancaire (comme Clearstream), lesquels gèrent de plus des comptes occultes servant aux transactions mafieuses, donnent un aperçu vertigineux du transfert du pouvoir aux puissances de l'argent et du crime organisé. Aujourd'hui le système financier international est devenu complètement dépendant du crime organisé car sans l'apport de cet argent "sale", il s'effondrerait.
V
oir les films documentaires film Les dissimulateurs (2001) et film L'affaire Clearstream (2003) de D.Robert & P.Laurent.

"La guerre des classes existe, c'est un fait, mais c'est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner."
Warren Buffett, 2006.

1.4. La convergence des politiques de gestion des populations

Depuis quelques années, sont prises toute une série de mesures, dans un ensemble de champs : éducation, santé mentale, justice... qui vont dans le même sens ("dépistage", fichage, orientation voire enfermement des potentiels déviants ; traitement sécuritaire de la "folie" ; atteinte à l'indépendance des institutions judiciaires, etc.). Ceci est analysé en détail par l'appel des appels. C'est en voyant, avec du recul, comment chaque pièce du puzzle s'articule avec les autres, que l'on se rend compte de la tendance globale de nos sociétés à glisser vers le totalitarisme.

1.5. L'échec des militants antifascistes : la question sexuelle

Déjà en 1933 en Allemagne, le parti National Socialiste avait réussi à supplanter les partis populaires de gauche (à l'époque essentiellement le parti communiste) en manipulant habilement les énergies sexuelles refoulées des masses. Wilhelm Reich en a fait l'analyse dans La Psychologie de masse du fascisme publié dès 1933. Il complétera plus tard son analyse en développant le concept de peste émotionnelle.
Pour les communistes (d'hier comme d'aujourd'hui(1)), la question sexuelle est une question "petite bourgeoise". Au mieux, la révolution sociale est censée apporter la solution des problèmes sexuels : telle est la position générale des gauchistes. Ce n'est guère que chez certains militants et penseurs anarchistes que l'on trouve encore la référence à Wilhelm Reich, mais leur visibilité reste trop limité.

Les fascistes eux ne cessent de jouer sur les angoisses nées de la répression sexuelle. La pornographie contemporaine dominante, morbide et violente, peut désormais être qualifié de fasciste. Le sport qui est une des façons moderne de canaliser les énergies sexuelles (à la fois chez les participants et chez les spectateurs) a toujours été l'un des instruments privilégié des régimes fascisants. Voir aussi sport et esthétique nazie aujourd'hui.

Ancrées dans un marxisme vulgaire, les conceptions révolutionnaires qui ne prennent pas en compte la sexualité ont échoué face aux nazi dans les années 1930. Depuis lors les militants antifascistes n'ont tiré aucune leçon de cet échec et sont condamnés à le voir se répéter. La situation actuelle prouve l'échec des luttes antifascistes depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

A contrario, la question sexuelle était centrale et motrice dans les mouvement de 1968 (inspirés par les situationnistes et par la lecture de Reich et de Marcuse en particulier). C'est ce qui explique que mai 1968 soit le seul mouvement qui ait réussi à ébranler un peu l'ordre social réactionnaire. Lire notre analyse de "l'esprit de 1968" et de ses retombées. Les mouvements féministes et homosexuels, sont les seuls qui ont continué à porter la question sexuelle après 1968, mais en se limitant assez vite au terrain législatif et à une approche communautariste. Cette restriction de la question sexuelle à mené finalement à l'échec de la pseudo "libération sexuelle". (Voir dans les FAQ : La révolution sexuelle n'a-t-elle pas déjà eu lieu ?)

(1) Un bref rappel historique dans l'article : "Le sexe est-il soluble dans le communisme" (lien vers le blog de Thierry Savatier : Les mauvaises fréquentations)

1.6. La solidarité : caritatisme ou militantisme ?

De tous temps la charité a consisté à donner quelques miettes aux pauvres pour qu'ils restent à leur place.
Les médias ont tendance à assimiler charité (appelée "l'humanitaire") et solidarité. Or la charité est une relation dissymétrique alors que la solidarité est une relation égalitaire. La charité maintien l'ordre social tandis que la solidarité modifie cet ordre.

Il est certes des situations d'urgence (famines, guerre, catastrophes écologiques), conséquences de la gestion irrationnelle de notre monde, où l'intervention "humanitaire" permet de sauver des vies et d'alléger les souffrances. Mais cela ne permet en aucun cas de résoudre ces problèmes et d'empécher leur réitération.

Aujourd'hui la productivité agricole permet théoriquement de nourrir largement toute la population humaine. L'irrationnalité du système capitaliste amène même à la destruction régulière de surproductions pour maintenir les prix des matières premières agricoles, objets de spéculations. Pourtant les famines subsistent : elles sont en premier lieu la conséquence de l'extension du capitalisme qui détruit les cultures locales et impose aux paysans d'aller travailler en usine ou de consacrer leur production agricole à l'exportation vers les pays riches. Lorsque ceux-ci s'accrochent à leurs terres, la famine peut être sciemment provoquée pour engendrer l'exode rural. Les famines peuvent aussi occasionnellement être les conséquences de conflits armés ou encore être délibérément provoquées par des gouvernements souhaitant ainsi mettre au pas tout ou partie de leur population.

Résoudre ces problèmes nécessite une transformation radicale du système idéologique dominant (le néo-libéralisme) qui en est la cause. Cela suppose la concentration de tous les efforts.
Faire la charité permet de se donner bonne conscience : on le sentiment d'avoir fait son devoir et on peut s'en tenir là. Le geste de donner donne même le sentiment d'être privilégié. Le don permet de rendre l'ordre du monde tel qu'il est viable. [Vu dans une boutique de fringues : "1 vêtement acheté = 1 enfant sauvé" (Unicef). 1 produit = 1 enfant !] La charité détourne des vraies questions (l'organisation sociale) et fait croire que c'est facile, qu'il suffit de donner un peu d'argent pour résoudre la misère du monde. Illusion : le système capitaliste a besoin de cette misère pour pouvoir se perpétuer. A la limite, tout don, toute énergie dépensés en charité serait autant de moins consacré à l'effort de transformation sociale, donc retarde la réelle résolution des problèmes (et donc multiplie les futures victimes).

"L'humanitaire" est parfaitement en phase avec l'idéologie dominante qui, pour se maintenir, a besoin de la dépolitisation des questions sociales.

Le téléthon est sans doute aujourd'hui l'opération la plus frappante du business humanitaire. Voir notre page : le téléthon une opération nauséabonde.

1.7. Une configuration favorable à l'irrationnel

Du point de vue économique, on assiste à une paupérisation progressive des classes moyennes (il suffit pour s'en apercevoir d'observer la baisse constante de la qualité des produits destinés à ces populations). Du point politique, comme nous venons de le voir, nous sommes face à une crise de la "démocratie" sans précédent. Cette crise est également morale (celle-ci étant minée par l'idéologie capitaliste), sociale et culturelle.
Les études de psychologie sociale ont montré que dans ces temps d'incertitude et de démoralisation, les sectes prospèrent. Désorientés, sans perspective, les gens s'abandonnent d'autant plus facilement aux solutions irrationnelles, à la prise en charge par un guide : bref au fascisme. Ces facteurs s'ajoutent aux effets constants de la répression sexuelle, qui agissent dans le même sens.

De plus en ces temps de crise du capitalisme, le virage fasciste reste l'ultime moyen de défense d'un système politique et économique en faillite. Les possédants ont maintes fois montrés qu'ils sont près à tout pour ne pas perdre une once de leur position dominante.

 

2. D'un point de vue anthropologique

2.1. Est-il encore possible de construire une culture, une histoire ?

La construction d'une culture suppose la création de significations partagées (donner du sens au monde) par les échanges (notamment langagiers) entre les individus d'un groupe. Lorsque les normes, les valeurs, les significations sont données par les médias de masse (dont la publicités et les images pornographiques) on ne peut plus parler de culture.
Le concept de désymbolisation, introduit par Dany-Robert Dufour, rend compte de cette inaptitude contemporaine à créer du sens. Celle-ci est une conséquence de l'aliénation. L'aliénation est la condition psychologique du totalitarisme.
L'histoire et la culture ne sont possibles que lorsque les peuples sont sujets (actifs) de la construction sociale et non objets (passifs).

La "fin des idéologies", des utopies, de l'histoire ?

Les pseudo-penseurs proclament la "fin des idéologies". En réalité c'est de la fin des autres idéologies dont il s'agit, c'est à dire le triomphe d'une seule idéologie : l'individualisme libéral.

Cette idéologie dominante des dites "démocraties libérales" est tout à la fois système politique (l'oligarchie libérale), système économique (le néo-libéralisme), système de croyances et de valeurs (l'individualisme revendiqué, la compétition prétendument inhérente à la nature humaine, etc.) et aussi - et surtout - système de pensée qui biaise notre perception du réel et des causalités sans même que nous en rendions compte. Ce système de pensée est transmis par l'éducation (notamment le système scolaire) et les médias.
L'idéologie libérale, par opposition aux totalitarisme dictatoriaux, repose sur l'adhésion (ou plus précisément l'adhérence, c'est à dire la collaboration inconsciente, par imprégnation) de la majorité de la population, leurrée par les "illusions libérales", en tout premier lieu l'illusion de la liberté.

Sur la question de l'idéologie dominante lire en particulier les ouvrages de Jean-Léon Beauvois.

Les utopies, elles-aussi, sont condamnées à la poubelle de l'histoire par les mêmes pseudo-penseurs au service de l'idéologie dominante. Pourtant seules les utopies (c'est la précisément leur fonction) peuvent permettre de penser des alternatives au modèles totalitaires et guider les changements de sociétés, pour autant que les peuples soient acteurs de l'histoire. C'est pourquoi les utopies sont extrêmement précieuses. Et parmi elles, celle qui reste encore aujourd'hui vivace (et que bien sûr les politiciens au service de l'idéologie dominante se sont promis d'enterrer) : l'esprit de 1968.

Lorsqu'une idéologie rempli tout l'espace symbolique et régit toutes les relations sociales, elle constitue le totalitarisme. La société est donc figée dans le "meilleur des mondes" : c'est la fin de l'histoire.

La novlangue, fin de la pensée

Pour pouvoir penser, il faut des concepts (des idées). Les concepts sont véhiculés par les mots, et il faut que ces mots aient un sens bien défini.
Détourner le sens de certains mots, les ringardiser ou les vider de leur sens politique, ou en limiter l'usage au profit d'autres mots (préexistants ou nouveaux) est donc l'une des façons les plus efficace pour empécher que se développe une pensée subversive, et que seule puisse être pensées des idées conformes à l'idéologie dominante. C'est aux média de masse (dont la publicité) que revient cette tâche essentielle, complémentaire de la diffusion de propagande.
Les nazis ont utilisé avec succès ce procédé, que Victor Klemperer a décrit dans son ouvrage LTI : la langue du troisième reich. George Orwell développe aussi cette idée en forgeant le concept de novlangue dans son roman de science-fiction consacré au totalitarisme (paru en 1949) : 1984. Sur le modèle de LTI, Eric Hazan à forgé le sigle LQR : la langue de la cinquième république, pour décrire la novlangue forgée par l'idéologie néo-libérale contemporaine.

L'anti-intellectualisme marque du populisme

"Intellectuel" est devenu un mot péjoratif. Au fond ce que les réactionnaires, à qui l'on doit cette connotation, cherchent à détruire c'est la raison, la connaissance et l'intelligence.
(Nous ne désignons pas ici par le mot "intellectuel" les "intellectuels médiatiques", pseudo-penseurs plus ou moins réactionnaires, mais les gens dont la pensée ne tombe pas sous l'emprise du prêt-à-penser d'une idéologie).

Du fait de cet anti-intellectualisme, beaucoup de gens rejettent a priori tout discours rationnel, sans même en prendre connaissance. Ils ne se donnent pas la possibilité d'accéder à la culture - domaine où la censure reste présente - qui pourrait leur donner les moyens de réfléchir : ainsi naît l'homme totalitaire, celui pour qui penser devient une "prise de tête".
L'anti-intellectualisme est donc l'un des obstacles à la réalisation d'une véritable démocratie.

De plus le modèle de "communication" issu du marketing et diffusé par les médias de masse a fini par contaminer presque toutes les formes de communication si bien que le discours rationnel, visant à persuader à l'aide d'arguments, passe pour un discours idéologique ; alors que le discours "médiatique", visant au contraire à séduire, passe pour objectif !

La communication virtuelle

Dans notre société individualiste où les liens sociaux de voisinage sont en plaine déliquescence, les formes de communication virtuelle ont un succès grandissant (allant parfois jusqu'à l'addiction) en particulier chez les jeunes : SMS, chats, certains forums* Internet, réseaux dits sociaux (MySpace, Facebook, etc.) leurs font consommer un temps considérable, alors que les messages échangés sont le plus souvent d'une grande pauvreté. Non seulement ce type communication ne nous paraît pas pouvoir compenser la diminution de la véritable communication entre personnes, pouvant se voir et se toucher, mais il opère comme un leurre, donnant l'impression aux participants de "communiquer" et même de s'engager pour des "causes" (ex: sur Facebook) qui restent virtuelles et donc inoffensives.
De plus la multiplication des messages ne permet plus l'approfondissement, il est donc difficile, dans ces média, de développer une discussion suivie et approfondie basée sur une argumentation rationnelle.

*Il existe néanmoins des forums où au contraire peut se développer une contre-culture, notamment par l'échange et la diffusion de savoir-faires alternatifs, l'organisation de rencontres physiques, la coordination d'actions militantes ou encore par le soutien social qu'ils peuvent apporter à des gens isolés de par leurs convictions non conformistes. Nous espérons que notre forum fait partie de ceux-là !

Sans corps, pas de pensée

On oppose à tord raison et émotion, or elles sont indissociables. C'est en étant à l'écoute de son corps que l'on penser juste, en étant en contact avec ses sensations et ses émotions ainsi qu'avec celles des autres. Or dans notre société, tout est fait (dès l'école) pour nous amener à contrôler et réprimer nos émotions, nos passions et pour déconnecter le corps et l'intellect. Le corps devient en particulier un objet de soins obsessionnels (la marchandisation du corps réalisée par la publicité).
Le discours médiatique centré sur le pathos ne met en jeu que des réflexes conditionnés, pas de véritables émotions.
"On devient stupide dès qu'on cesse d'être passionné." Jean-Jacques Rousseau.

2.2. Le corps : refaire la nature ? Entre rejet et perfectionnement de la matière vivante

On ne peut qu'être frappé par l'analogie entre la tendance actuelle à prendre pour idéal un corps artificialisé à l'extrême et le culte du corps "parfait" en vigueur chez les Nazis.
"Rectifié" par la chirurgie esthétique, sans poil, sans rides, sans odeurs, l'image du corps idéal véhiculée par les médias contemporains se caractérise d'abord par son rejet des manifestations de la nature biologique. Éternellement jeune - entretenu dans des centres de "mise en forme"- le corps tend à devenir un objet "parfait" et sans vie. Certains se prennent même à rêver d'implants cybernétiques accroissant par exemple les capacités mnésiques : le corps-machine, amélioration de la nature grâce à la (nano-)technologie, idéalement sans émotions. La manipulation génénique (l'humanité OGM) fait également partie des projets de ces transhumanistes : version contemporaine (c'est à dire technoscientiste) de l'éugénisme.
Dans le même temps les techniques de contrôle des corps - qu'elles soient psychologiques/idéologiques ou technologiques - ne cessent de s'améliorer. Le meilleur des mondes est à notre porte.
Les tenants de cette artificialisation n'hésitent pas cependant à recourir à des justifications naturalisantes, répandues dans les médias, lorsque par exemple on nous explique que l'épilation ne fait que parachever le travail de la nature, laquelle au cours du temps aurait fait perdre ses poils à la race humaine (fait qui n'est pas du tout fondé scientifiquement).
Rejet de la nature et "amélioration" de celle-ci ne sont pas du tout contradictoires dans l'idéologie du corps "parfait".

Les Nazis ont constamment exalté le corps athlétique, formé par le sport (entrainement à la guerre), qu'ils ont largement mis en scène (parades civiles et militaires, compétitions sportives, films de Léni Riefensthal). Voir notre page : "les dieux du stade", sport et esthétique nazie aujourd'hui.
Dans les années 20 les mouvements naturistes avaient un grand succès, leur idéologie n'était pas incompatible avec les projets d'"homme nouveau" des Nazis et nombres d'entre-eux furent récupérés par les organisations de jeunesse Nazies. (Par la suite, au milieu des années 30, le naturisme fut toutefois banni par le régime Nazi.)
Le programme de création de l'"homme nouveau" passait aussi par l'amélioration de la "race" Aryenne. En parallèle à la sélection génétique eugéniste (Lebensborn), ceux-ci mirent aussi en oeuvre un programme d'élimination ("euthanasie") des "mal-batis" : handicapés physiques et mentaux.

En outre on trouve aujourd'hui dans les mises en scène du corps, dans la sexualité comme dans le sport, une morbidité fascisante (Lire à ce sujet la revue Mortibus n°3) :

 

Conclusion

Hitler n'était-il pas tout simplement en avance sur son temps ?

L'Histoire nous l'apprend : lorsqu'il est en crise le capitalisme abandonne son masque libéral et vire au fascisme.
A la fin des années 30, les opinions des classes dominantes européennes n'étaient pas hostiles aux projets Nazis. N'oublions pas que la seconde guerre mondiale en Europe fut une réaction aux "Fronts populaires" (C'est Franco qui en 1936 lance le conflit). Les gouvernements des nations "démocratiques" (France, Angleterre) n'aidèrent pas les républicains espagnols et étaient prêtes à pactiser avec les Nazis (accords de Munich, 1938). "Plutôt Hitler que le Front populaire" disaient les bourgeois de l'époque. La responsabilité directe (trahison) de la classe dirigeante française dans la défaite de la France en 1940 est maintenant tout à fait établie par les travaux des historiens qui ont eu accès aux archives : voir les guerres mondiales contre le peuple.
Toutefois le National-socialisme Hitlérien avait besoin pour construire son succès de désigner des nations ennemies et le désir de revanche, d'en découdre était trop fort. La construction de l'Europe voulue par Hitler et ses partisans échoua du fait de la défaite militaire de l'Axe.
Néanmoins les nations victorieuses s'empressèrent de récupérer les scientifiques et espions nazis (allemands et japonais), y compris les pires criminels ayant expérimentés dans les camps d'extermination. (Aux U.S.A. cette récupération est connue sous le nom d'opération Paperclip.) Ces nazis auront ainsi encore une influence notable sur l'idéologie, la politique et la recherche militaire des grandes puissances.

Les Etats-Unis et l'Union soviétique mirent chacun sous-tutelle la partie de l'Europe qu'ils avaient libérée, transformant les Etats européens en satellites. La construction de la communauté européenne après la seconde guerre mondiale est un projet qui a été piloté par l'empire Etats-Unien dès le départ.

En France les acquis sociaux issus de la Résistance (programme du CNR de 1944) sont progressivement démantelés par la politique néo-libérale. Conscient de cela, le Conseil National de la Résistance lance aujourd'hui un nouvel appel à la résistance et est à l'origine de la création de l'association Citoyens Résistants d'Hier et d'Aujourd'hui.

Aujourd'hui la déliquescence des liens sociaux, laissant les individus seuls face à un état et des sociétés transnationales dotés d'une puissance sans égale, et l'aliénation de la majorité de la population, soumise à une propagande insidieuse, paraît remplir les conditions d'établissement d'un régime totalitaire :

"La préparation est couronnée de succès lorsque les gens ont perdu tout contact avec leurs semblables aussi bien qu'avec la réalité qui les entoure ; car en même temps que ces contacts les hommes perdent à la fois la faculté d'expérimenter et celle de penser. Le sujet idéal du règne totalitaire n'est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu mais l'homme pour qui la distinction entre fait et fiction (c.à.d. la réalité de l'expérience) et la distinction entre vrai et faux (c.à.d. les normes de la pensée) n'existent plus."
Hannah Arendt. Le système totalitaire. Éditions du seuil, 1972 (p.224) traduit de The Origins of totalitarism (part 3), édition originale : 1951

Des raisons d'espèrer ?

L'exposé qui précède, loin d'être exhaustif, vous invite à rechercher des sources de documentations plus développées (liens vers des sites d'informations alternatives ; voir aussi notre bibliographie). Il fait froid dans le dos.

La tentation peut alors être grande de "fuir"... mais aujourd'hui les îles désertes sont radioactives (ou sont la proprièté privée de quelques milliardaires) et il n'est plus possible d'échapper à l'oeil des satellites espions !

Tout espoir n'est pourtant pas perdu. Des liens sociaux persistent grâce notamment au tissu associatif et aux collectifs informels. Parler à ses voisins (et même les toucher - voir les free-hugs) devrait être la première étape pour reconstituer les solidarités, reconstruire une culture populaire, briser l'isolement et la peur de l'autre qui servent le totalitarisme.
Les associations militantes continuent de mobiliser les énergies. Encore faut-il disposer des concepts adéquats pour lutter efficacement contre le totalitarisme et le fascisme, et ne pas dépenser son énergie en vain dans des tentatives de réformes vouées à l'échec ou à la récupération. Seules les critiques radicales, issues d'une réflexion capable de s'extraire du système de pensée de l'idéologie dominante peuvent être fécondes. Les expériences alternatives, réalisées en marge du système, sont des laboratoires pour recréer une société sur des bases nouvelles (voir quelques liens), mais elles ne doivent pas conduire à l'isolement, faute de quoi elles seront un jour ou l'autre balayées par la répression.

Une des raisons d'espérer est que la combinaison de différents facteurs font que le système économique capitaliste se trouve aujourd'hui en bout de course (lire : la fin du capitalisme). C'est le rapport de force entre la bourgeoisie oligarque d'une part et les citoyens organisés d'autre part qui déterminera l'évolution de la société.

En popularisant d'une part - en particulier - les analyses de Wilhelm Reich, toujours très pertinentes (notamment le concept de peste émotionnelle, indispensable pour comprendre les fonctionnements individuels et collectifs irrationnels - voir aussi les liens entre répression sexuelle, exploitation et fascisme) et en proposant - d'autre part - une stratégie et des fiches pratiques, nous espérons contribuer, avec vous, a faire échec à la progression inquiétante du totalitarisme.

"L'esprit libre et curieux de l'homme est ce qui a le plus de prix au monde."
John Steinbeck, A l'Est d'Eden.

"Ne laissons surtout pas la société dans l'état où nous l'avons trouvée."
Denis Langlois, Slogans pour les prochaines révolutions, Seuil, 2008.


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