Significations et enjeux de l'épilation

Coutume inutile du point de vue pratique - et même nuisible du point de vue dermatologique - l’épilation est en fait, selon Descamps (1986) un marquage social. Sa pratique varie grandement selon les cultures et les époques. Elle marque la socialisation, l’appartenance à un groupe ou encore l’humanisation.

La visibilité des poils permet leur investissement par le champ social. Les poils du corps féminin sont visibles dans des situations telles que l’intimité, l’examen médical, la piscine, la plage et plus simplement lorsqu’il fait chaud et que la femme est court vêtue.

Dans son mémoire d’ethnographie, Sakoyan définit trois états du poil : le poil-parure (et le poil utile : politiquement, physiologiquement), le poil-maladie et le poil-parasite. C’est à ce dernier que nous nous intéressons ici.

Psychanalyse du poil : la répression de la sexualité 

Selon Sakoyan (2002), du point de vue psychanalytique le rasage est associé à la castration. Ceci concerne surtout les cheveux et cette interprétation ne paraît opérer que dans des contextes spécifiques (esclavage, femmes tondues…).

Hofstein associe le poil à la sexualité (présence sur les zones érogènes) et l’épilation du maillot à un comportement de pudeur. Pour lui l’épilation dénote un rejet de la bestialité (vue comme fantasme de violence érotique). Descamps (1986) explique lui l’épilation féminine par un désir d’infantilisation, par la répression de la sexualité (angélisme, somatophobie), par la différentiation sexuelle d’avec les hommes et par opposition à l’animal.

Sociologie du poil : une féminité domestiquée

Soumission et insoumission

Selon Sakoyan (2002), du point de vue sociologique avoir les cheveux courts (et par extension être épilée) est associé à l’acceptation des lois normatives et disciplinaires. Donc ne pas s'épiler renvoie à deux types de positionnements opposés :

- c’est se situer en dehors des normes de civilité (la personne est ainsi exclue du champ politique) ;

- ou c’est porter un message politique (revendication d’une opposition aux lois normatives) :

selon Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer (1999), le refus de l’épilation est associée “ à l’adhésion à des valeurs non-conformistes et/ou à l’appartenance à des groupes marginaux. ” (p.77).

Via la codification du poil, le corps politique imprime sa marque sur le corps individuel ; elle peut même se trouver imposée par les régimes autoritaires. L’apparence pileuse marque la frontière entre soumis et insoumis (Bromberger, 2005).

Féminité et sexualité

Les analyses féministes, citées par Toerien et Wilkinson (2003), associent l’épilation à la passivité sexuelle, au fait de ne pas accéder au statut d’adulte, aux normes socio-culturelles véhiculant l’image d’une féminité domestiquée et sous dépendance de l’homme. Le glabre, plus qu’un critère de “ beauté ” participe de la construction d’une femme ayant une féminité appropriée. L’épilation est un travail de transformation du corps afin de ressembler à un idéal féminin socialement construit (voir Toerien, Wilkinson et Choi, 2005). Pour la construction sociale du lien entre beauté et féminité voir aussi Domenc, 1992 (p.44-49). Pour cet auteur les poils du corps sont retirés parallèlement à la dénudation des différentes zones du corps, car ils seraient trop évocateurs de la sexualité. Quand aux poils pubiens la femme doit bien les tailler afin de montrer qu’elle n’a pas “ une sexualité débridée, animale, non-socialisée ” (p.62).

Enfin la norme de l’épilation “ endosse fortement le sous-entendu de toutes les pratiques de modifications corporelles, à savoir que le corps féminin n’est pas acceptable tel qu’il est. ” (traduit de Tiggemann et Kenyon, 1998, page 874).

Société de consommation et classes sociales

L’influence de la publicité dont les images de corps sont perçus comme corps de références est soulignée par Domenc (1992). Cet auteur note aussi que les corps “ libérés ” sont d’abord ceux des classes moyennes et supérieures, “ cet engouement [pour le corps] contribue à durcir les normes d’apparences corporelles ” (p.38) ce qui provoque une mésestime de soi chez les femmes qui ne peuvent accéder aux standards de beauté définis par l’idéologie dominante. De fait Toerien et Wilkinson (2003) rappellent que le coût financier de l’épilation et des autres soins cosmétiques peuvent exclure des standards acceptables les femmes ayant de faibles revenus. L’augmentation des “ soins de beauté ” requis produirait chez les femmes un sentiment sous-jacent d’autodévalorisation qui contrerait les effets matériel de la libération accrue des femmes. L’imposition normative des critères de “ beauté ”, dont l’épilation, est en effet source de souffrances psychiques pour bien des femmes (voir par exemple Collectif, 2004). Selon Domenc (s’appuyant sur Baudrillard) : “ au fur et à mesure que la femme se libère (socialement et sexuellement parlant), elle se confond de plus en plus avec son corps […]. On invite la femme à prendre soin de son corps, à le rendre séduisant. Il est devenu le mythe directeur d’une éthique de la consommation : c’est un support économique, un principe d’intégration (psychologie), et une stratégie (politique) de contrôle social ” (p.41).

Normalisation et domestication

Pour Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer (1999), l’épilation “ relève d’une sorte de normalisation culturelle du corps féminin, qui doit être à la fois différencié du corps masculin et lisse comme celui d’un enfant. L’idéologie dominante nous pousse donc à domestiquer notre système pileux et capillaire. [… l’épilation] illustre bien au moins deux des fonctions des soins du corps […] : “ un contrôle social de l’apparence, s’exerçant grâce à des normes et à des valeurs prégnantes ; une stratégie individuelle de présentation et d’expression de soi, construite par chaque individu en fonction des pressions à la conformité (ou à la déviance) qu’il subit, mais aussi de ses croyances et valeurs personnelles. ” (p.76-77).

Urbain (1994) décrivant la montée de “ l’élan pilophobe ” indique : “ la conservation de ces “appâts”, quand ils sont trop touffus, relève désormais de la négligence corporelle, étant en quelque sorte les signes de zones en friche échappant à l’ordre social. […] Ainsi s’impose peu à peu l’idée qu’il faut procéder à la déforestation du corps féminin, à sa défoliation, à son défrichement ou à tout le moins à un certain nombre d’affouages substantiels afin de domestiquer le paysage corporel, à l’image de ceux de la campagne ou du… rivage. ” (p.401, souligné par nous).

Toerien et Wilkinson (2003) concluent leur revue des analyses de l’épilation en affirmant que “ Cette norme peut donc être comprise comme une forme de contrôle social […] à travers la définition de la féminité sous-jacente à la norme. La féminité glabre est, nous dirions, une féminité “domestiquée”. ” (traduction ; p.341).

Enfin il ne faudrait pas oublier les enjeux économiques de la pratique de l’épilation qui génère des chiffres d’affaires considérables.

Psychologie sociale du poil : norme et idéologie

Schéma, d'après Patinel (2006) :

Ethnologie du poil : rite, masque et aliénation

Le poil comme “ vécu individuel ” : hygiène, soin et beauté

Selon Sakoyan (2002), l'épilation est classée dans les pratiques hygiéniques, d'où des associations inductives avec d’autres pratiques : ainsi la femme ayant des poils, par ailleurs considérée comme “ négligée ” pourra être supposée sale par induction (se lavant moins souvent).

Du fait que le poil retient la transpiration, l’épilation est liée à la “ désodorisation du contexte olfactif organique ” : phénomène culturel tendant à faire disparaître les odeurs corporelles, au profit parfois de parfums artificiels.

La beauté suppose un certain ordre, une cohérence esthétique. Or le poil a un statut particulier, il n'est pas classé comme appartenant au corps ni comme séparé du corps ; il peut alors être vu comme une impureté qui menace la féminité. L'épilation est la condition nécessaire pour rendre opérantes les autres pratiques de beauté, car elle procède autant de l'hygiène que de la beauté. Or dans notre société, la femme existe par sa beauté (par son corps), cela constitue son identité. Il y a donc une autosatisfaction à se faire belle.

Par ailleurs l’épilation peut combler un besoin d'attention au corps bien souvent oublié dans le quotidien.

L’enquête menée par Toerien et Wilkinson (2004) montre également que le glabre est associé (de façon explicite) à l’attractivité, la douceur, la propreté et la netteté, la féminité ainsi que l’autodiscipline.

Le poil comme “ symbolique sociale ”

Selon Sakoyan (2002) la première épilation peut être vue comme un rite de passage : elle donne “ le droit d'être femme qui est un devoir être glabre ”. C'est aussi un rite d'institution : elle consacre la différence homme/femme et donne au poil son statut de parasite. L’épilation est un exemple type de l’incorporation d’une pratique en habitus.

Les aspects de contrainte (devoir-être) et de satisfaction qui coexistent renvoient aux notions d’“ habitus ” (Bourdieu), d’“ autocontrôle intériorisé ” (Elias) ou encore d’“ autocontrainte ” (Chartier). “ Dans tous les cas, l’intégration de la norme provient à la fois d’une incorporation immédiate en deçà du langage, et d’une inculcation à travers les institutions ” (ce dernier terme faisant référence à l’imagerie du corps féminin, aux professions de mannequin…)

La dimension du “ poil politique ” (politique au sens de Foucault) apparaît dans les micropouvoirs de surveillance horizontaux que constituent les regards des femmes entre elles.

Une caractéristique particulière de la norme de l’épilation, observée par Sakoyan (2002) à partir de ses entretiens, est que les sujets sont capables d’y faire référence en tant que norme culturelle tout en l’ayant parfaitement internalisée. “ Cette contradiction s’assume de mieux en mieux et se généralise ”. Ce fait est également observé par Patinel (2006) : lorsque l'on demande par enquête aux jeunes femmes de justifier leur pratique, le fait de se référer au caractère normatif de l’épilation s’accompagne quand même la plupart du temps de justifications internes.

Selon Sakoyan (2002), le glabre doit apparaître comme un attribut, non comme un produit. Le corps construit artificiellement est censé apparaître naturel (naturalisation). Le laser (épilation définitive) fait même du factice quelque chose de définitivement incorporé. A cela s’ajoutent les photos de peau trafiquée (lisse, homogène, sans pores) pour contribuer à l’amnésie du poil. Le discours sur l'épilation rompt ce tabou, il est indiscret. Le secret a pour fonction de maintenir l’illusion d’un corps féminin “ naturellement ” glabre ; il s’associe à un sentiment de honte d’avoir des poils indésirables et de devoir les retirer (selon Toerien et Wilkinson, 2003, p.339).

Dans le même ordre d’idée Urbain (1994), qui étudie les mœurs balnéaires, affirme : “ là où l’imaginaire du corps balnéaire, son “naturel” en trompe-l’œil, en harmonie avec l’esthétique du lieu, se dit le plus clairement, c’est à travers le rite de l’épilation ” (p.400). “ Une femme épilée, comme une plage sans algues, est aussi un mensonge, une fiction – et cette fiction esthétique est aussi son nouveau costume ” (p.402). “ L’épilation est un masque. Elle ne fait pas apparaître mais disparaître quelque chose. Que masque-t-elle ? La nature bien sûr, étant entendu que le mot nature renvoie historiquement tout autant à l’idée d’environnement sauvage qu’à celle de constitution humaine, physique et psychique, génitale ou instinctive ” (p.403).

Sakoyan (2002) place l’épilation dans “ la triade du lisse : pas de poils, pas de graisse, pas de rides ”. Le lisse est le dénominateur commun des pratiques sportives et cosmétiques ; en rapport avec l'esthétique de la ligne (art moderne). De même Urbain (1994) voit “ l’épilé à coté du frais, du jeune, du souple, du lisse, du bronzé ou de l’uni, enrichir un paradigme de qualités qui font le corps étanche, immaculé, homogène et inattaquable […]. Ces qualités, dit Jean Baudrillard, sont des “ qualités de clôture ”. Elles assurent en effet une sorte de “ vitrification de la nudité ” […]. C’est tout un monde qui se résume à travers cette sémiologie corporelle – le discours d’un corps clos pour un monde clos… ” (pp.403-4).

Enfin selon Sakoyan (2002), la perception sociale (le regard des autres) peut constituer le poil en parasite, d'où un corps aliéné par l'objectivation visuelle et verbale qu'en produit la société (Bourdieu). La notion d’identité sociale virtuelle (Goffman) s’applique ici : elle consiste en l’obligation pour la femme de présenter un corps glabre. L'écart entre l'identité sociale réelle (avoir des poils) et l'identité sociale virtuelle (femme belle, soignée et glabre) stigmatise l'individu.

Toutes les références citées sur cette page sont listées dans la bibliographie concernant l'épilation.

Vers l'été sans épilation


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